CABALE ET CABALISTES
Charles Mopsik, (extraits)
Prologue

 

    Herbes folles sur les champs labourés des disciplines du savoir, les ésotérismes des grandes religions n'en constituent pas moins une niche féconde où se réfugie la vie de l'esprit quand l'aridité ambiante tend à stériliser toute nouvelle floraison. En ce qui concerne l'ésotérisme juif, ces fleurs sauvages ont essaimé très au-delà de leur habitat initial, poussant leurs bourgeons avec une telle vivacité qu'elles ont formé une forêt dense et encore presque vierge, aux ramifications innombrables. Tant et si bien qu'il est difficile de trouver une seule aire d'activité humaine intelligente et créatrice qui n'ait été, à un moment ou à un autre, à un degré ou à un autre, fécondée, pollinisée, ou simplement caressée par leurs exhalaisons imprévisibles. La cabale a joué et joue encore un rôle de détonateur dans les domaines les plus divers. Elle a suscité et suscite toujours des vocations et provoque des impulsions intellectuelles, religieuses ou artistiques. D'Isaac Newton,  dont l'imagination géométrique a été nourrie par la doctrine lourianique de la contraction de l'infini via l'œuvre de Henry Moore, à Barnett Newman, qui en a tiré l'inspiration principale de ses expériences picturales abstraites, la liste est longue qui réserve sans doute de nombreuses surprises où pourraient défiler les noms de personnalités, appartenant à tous les arts et à toutes les sciences, qui ont puisé directement ou indirectement inspiration et renouvellement dans la tradition ésotérique du judaïsme.

 

    La cabale est également un sujet de controverse incessante quant à sa place et son importance dans l'histoire des religions. Entre le jugement de Mircea Eliade qui, à la suite de Gershom Scholem, affirme : " Dans la Kabbale nous avons affaire à une nouvelle et réelle création du génie religieux judaïque, due au besoin de récupérer une partie de la "religiosité cosmique étouffée et persécutée tant par les prophètes que par les rigoristes talmudiques postérieurs 1", et celui de Hans Küng qui considère que la cabale n'a apporté au judaïsme aucun paradigme nouveau et qu'elle se situe dans la droite ligne de sa religiosité la plus classique2, toutes les nuances se rencontrent. Le fait même que la cabale est tour à tour, selon les auteurs, décrite comme un conservatisme religieux, comme un courant révolutionnaire, comme une mystique visionnaire et comme une théorie intellectualiste abstraite, montre à quel point elle est polymorphe et se prête aux approches les plus variées. Le caractère souvent contradictoire des opinions qui ont été émises à son sujet est de nature à semer le trouble. Huit siècles d'histoire – la cabale apparaît au grand jour vers la fin du XII° siècle – et des milliers d'écrits, rédigés sous toutes les latitudes, ajoutent à ce trouble une opacité supplémentaire.

 




1 Fragment d'un journal, Gallimard, Paris, 1973, p. 504.

2 Le Judaïsme, Le Seuil, Paris, 1995


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