retour.jpg

 
 23. 02 1995

           
LE TEMPS COSMIQUE ET LE SYSTEME DES SEFIROT


 


Par Charles Mopsik

Pour comprendre comment les cabalistes se représentent le temps, réinventent son organisation à partir des données de la religion juive, il est nécessaire tout d’abord de dépeindre le système des sefirot. C’est bien sûr en fonction de ce dernier qu’ils modèlent leur construction du temps. 
D’abord, donc, une résumé du système des sefirot
- les dix sefirot, système émanatif et structure thésophique
- la notion de « jubilé » de très longue durée. Dans la Bible, idée d’un retour au point de départ. Libération des engagements, des créances passées, du poids des derniers cinquante ans écoulés : l’horloge tend à être remise à zéro. Voir Lévitique 25:10, 25:12, passim. Les essenniens comptaient le temps par jubilé. Idée qu’il y a un point  zéro, un point d’origine autour duquel retournent toutes choses ; axe de la roue du temps.  Derrière cela, relation dialectique entre l’idée d’un temps ouvert, d’une histoire en attente de sa fin, d’un mouvement linéaire du temps et entre l’idée d’un temps cyclique, qui fait à l’issue d’une certaine période, retour sur lui-même, et ces deux notions du temps sont enchevêtrées. Il faut avoir en mémoire le fait que les anciens hébreux comptaient le temps par grand jubilé (cinquante ans). Non seulement les écrits intertestamentaires en ont gardé le souvenir (voir par exemple Livre des Jubilés), mais on en trouve des traces dans le Pentateuque.
- Le mouvement des cycles des jubilés cosmiques. Chaque cycle a une durée de sept mille ans. Et il y a sept cycles (= en tout cinquante mille ans). L’Âge dans lequel nous sommes est soumis à la domination de la sefira Guevourah (Puissance ou Rigueur, c’est aussi l’attribut du jugement). D’où la présence d’interdictions et d’obligations dans la Loi biblique. L’Âge précédent était celui de la sefira Hessed. Lire texte qui résume le Livre de l’Image (Sefer ha-Temounah, dans Cha’aré Gan Eden, de Jacpb Koppel Lifshuetz (tout début du XVIIIe siècle), fol. 1b et 2a.
« VI. Théosophie et histoire » (selon Moché Idel). L'émergence d'une hiérarchie théosophique et, davantage même, son déplacement au centre de l'intérêt religieux, représente une restructuration majeure de la pensée juive au sein des cercles cabalistiques. Les deux grands axes prépondérants des sources juives classiques, l'axe historique et l'axe halakhique, furent modulés afin d’être conformes à l'axe théosophique. L'axe historique, dominant dans la théologie biblique, fut étiré de l’Urzeit à l'Endzeit ; la réalisation du plan divin a lieu sur le théâtre de l'histoire, avec le peuple juif comme acteur principal. Dans les textes ultérieurs, tels que les apocalypses juives composées à l’époque gaonique, les pressions de l'histoire sont ressenties de manière dramatique, sentiments reflétés dans les descriptions impressionnantes d’un eschaton catastrophique. Cet élément catastrophique fut atténué et même effacé dans les sources philosophiques, qui tendaient à souligner l'aspect spéculatif et politique de l'ère messianique plutôt que l’éclatement des guerres qui la précéderont ; il semble que les philosophes étaient plus préoccupés par les processus menant au salut individuel que par ceux qui ont lieu sur la scène du cosmos. Chez des penseurs néoplatonisants tels que ibn Gabirol ou bar Hiyya, l'individu atteint son salut par l'effet rédempteur de sa fuite hors de la réalité corporelle et par son adhésion au monde spirituel. Les philosophes aristotélisants étaient plus enclins à envisager la Rédemption comme un processus noétique parfait, décrit au moyen de la conception médiévale des intellects cosmiques et humains [398].  L'intérêt porté au déroulement de l'histoire perdit son rôle premier dans les théologies philosophiques juives influencées par les mutazilites, le néoplatonisme ou l’aristotélisme. Les cabalistes étaient relativement plus sensibles à l'accent ancien placé sur l'histoire, bien qu’ils ne lui aient pas rendu son importance antérieure. La succession horizontale des événements que l'histoire constitue fut subordonnée par les cabalistes à l’axe "vertical" des puissances divines ; pour eux, l’histoire était un aspect de la révélation des processus divins mystérieux sur l'axe horizontal. La création correspond à la première émanation au niveau sefirotique ; la Rédemption est l’apothéose de l'influence de la dernière sefira.  L'expression ancienne 'ikveta de-meshiha - les pas du messie - fut réinterprétée comme signifiant les "talons" du messie, symbole du point situé le plus bas dans l'Anthropos divin [399]. L’histoire, comme le récit biblique, consistent en différentes manifestations du modèle caché fondamental - le modèle théosophique  - incarné à des niveaux variés, qui peut être perçu en traversant le voile de l'histoire ou la signification obvie du texte. Cependant, il y eut peu d’application pratiques de cette conception symbolique de l'histoire en vue d’une interprétation détaillée d’événements historiques spécifiques. La cabale préférait l’interprétation des processus cosmiques à celle des faits historiques [400]. L'axe théosophique était compris comme le paradigme de cycles cosmiques de sept millénaires - la shemitah - ou de quarante-neuf mille ans - le yovel [401]. Chacune des sept sefirot inférieures était considérée comme affectée à une shemitah [402], et de ce fait marquait de ses caractéristiques propres à la fois la nature de la création et le type de processus se déroulant dans cette période particulière. Un bref examen de l'arène humaine convainquit la plupart des cabalistes que la sefira présidant à notre cycle historique propre était celle de la Gevurah - le strict jugement - évaluation pessimiste laissant peu d’espace à un changement dramatique de la nature de la situation humaine [403].




 
Copyright (C) 2014 - Tous droits réservés à Aline Mopsik