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Par Charles Mopsik, 24 03 2003
Présentation
film
Nous
parlerions d’éthique. Les anciens l’appelaient sagesse. Mot qui exhale
aujourd’hui l’odeur des choses passées. Le fils de Ben Sira, un hébreu – c’est
vrai qu’il écrivait en hébreu – ou plutôt un judéen – parce qu’il habitait à
Jérusalem ou dans ses environs vers 180 avant l’ére chrétienne, écrivit un
épais ouvrage qui devint le livre plus volumineux de la Bible catholique, et le
plus ancien texte de sagesse juive, hors de la Bible juive. Qui était ce scribe
inspiré ? Ce philosophe sans philosophie, enseignant une sagesse séculaire
qu’il sut réactualiser pour les hommes de son temps, tentait de rassembler des
disciples dans son école de sagesse. Il écrivait d’abord à leur intention.
Notes de cours rassemblées et couchées en formes poétique, œuvre d’une vie
studieuse, ponctuée de multiples voyages à travers l’orient, la sagesse de Ben
Sira nous permet d’accéder à une étape ultime du développement du judaïsme
d’avant la révolte des Maccabées, à mi-chemin entre la sagesse biblique des
Proverbes de Salomon ou de l’Ecclésiaste, et la sagesse rabbinique de la
Michnah et du Talmud.
Chapitre
43
1 La
beauté des hauteurs, le firmament limpide - 1
Le ciel
lui-même reflète son éclat - 2.
2 Le
soleil dès sa sortie - 3
manifeste son empire - 4 ,
instrument
formidable, œuvre du Très-Haut - 5 !
3 A son
midi il fait bouillir le sol,
et face à
la sécheresse qui poursuit sa besogne - 6 ?
4 Four
embrasé, ouvrage compact,
le
rayonnement solaire incendie les montagnes - 7.
Langue
flamboyante il consume la terre habitée,
et sous
son feu l’œil est brûlé.
5 Car
grand est le Seigneur qui l’a façonné,
et dont
les paroles dirigent ses coursiers - 8.
6 La lune
aussi fait cheminer le temps,
maîtresse
des dates et signe perpétuel - 9.
7 Par elle
la fête et d’elle le pèlerinage,
et la
chose opportune en sa révolution - 10.
8 La
nouvelle lune, son nom l’indique, se renouvelle - 11 :
combien
est-elle formidable lors de ce changement !
Outil pour
l’armée des jarres célestes - 12,
elle pave
le firmament de son resplendissement.
9 Beauté
du ciel et majesté des étoiles,
ornement
flamboyant dans les hauteurs divines - 13.
10 Selon
la parole du Seigneur elle demeure en place - 14,
et ne
flâne pas lors de leur veillée - 15.
11 Vois
l’arc-en-ciel et bénis son Auteur - 16,
car il est
très majestueux en gloire.
12 De sa
gloire il encercle la voûte céleste - 17,
la main de
Dieu l’a étendu avec puissance.
13 Sa
réprimande trace le sentier de la grêle - 18
et fait
éclater les éclairs du jugement - 19.
14 Pour
lui-même il perturbe un dépôt - 20
et dissipe
les nuages de pluie comme des vautours.
15 Sa
puissance renforce les nuées
et taille
les pierres de grêle.
17 Le
fracas de son tonnerre contracte sa terre - 21
16a et par
sa force il ébranle les montagnes.
16b Un mot
de lui déchaîne le vent du sud,
la
tornade, l’ouragan et la tempête - 22.
Il fait
virevolter sa neige comme des oiseaux
et comme
des sauterelles qui se posent elle descend.
18 La
beauté de sa blancheur éprouve les yeux
et de sa
chute le cœur est étonné - 23.
19 Il
verse aussi le givre comme du sel,
et il
bourgeonne comme des fleurs sur un buisson.
20 Il fait
souffler la froidure du vent du nord
et il
durcit les lacs comme des mottes de terre.
Sur toute
flaque d’eau il étend une croûte,
et revêt
les étangs comme d’une cuirasse.
21 La
canicule brûle le produit des collines,
et les
tendres herbages comme une flamme.
22 Guérit
tout : le nuage de pluie,
et la
rosée échevelée engraisse le sol aride.
23 Sa
pensée apaise Rahab - 24,
et plante
des îles dans l’Abîme.
24 Ceux
qui descendent à la mer racontent ses confins - 25,
à écouter
nos oreilles, nous sommes stupéfaits - 26.
25 Là sont
des merveilles, les plus étonnantes de ses œuvres,
toute
espèce de vivant et les monstres de Rahab - 27.
26 Pour
lui le messager réussit - 28,
et selon
ses paroles il agit volontiers - 29.
27 Comme
cela encore nous n’ajouterons rien,
le dernier
mot est : Il est tout- 30.
28
Exultons encore car nous n’en viendrons pas à bout,
il est
tellement plus grand que toutes ses œuvres - 31!
29 Si
formidable est le Seigneur,
et ses
prouesses si prodigieuses - 32 !
30 Vous
qui glorifiez Dieu poussez un cri - 33
autant que
vous le pourrez, car il y a encore de quoi !
Vous qui
l’exaltez, renouvelez vos forces,
et ne vous
lassez pas, même si vous n’en venez pas à bout - 34.
32 Les
merveilles abondent et de plus fortes que celles-là - 35,
de ses
œuvres, j’en ai vues bien peu - 36.
33 Tout
cela [Dieu l’a fait],
et aux
[hommes valeureux il donne la sagesse - 37.
*
1 Car
voilà ce que fait celui qui craint YHVH,
et celui
qui embrasse l’instruction- 38
parvient jusqu’à elle - 39.
2 Elle va
au-devant de lui comme une mère - 40
et elle
l’accueille comme la femme de sa jeunesse - 41.
3 Elle le
nourrit du pain de la lucidité
et
l’abreuve des eaux de l’intelligence - 42.
4 Sur elle
il s’appuie et ne chancelle pas,
à elle il
se fie et il n’est pas déçu - 43.
5 Elle
l’exalte au-dessus d’autrui
et au
milieu de l’assemblée elle lui ouvre la bouche - 44.
6 Il
trouve allégresse et joie
et elle
lui lègue un nom impérissable - 45.
7 Les gens
vains ne l’obtiennent pas - 46
et les
arrogants ne la voient pas.
8 Elle est
loin des moqueurs,
et les
hommes de tromperie ne l’évoquent pas - 47.
9 La
louange ne convient pas dans la bouche du méchant,
car elle
ne lui a pas été donnée en partage par Dieu - 48
10 C’est
la bouche du sage qui profère la louange
et celui
qui en a la maîtrise peut l’enseigner - 49.
11 Ne dis
pas : c’est de Dieu que vient mon péché,
car ce
qu’il hait il ne le fait pas.
12 Ne dis
pas : c’est lui qui m’a fait trébucher - 50,
car il n’a
pas besoin des hommes de violence - 51.
13 YHVH
hait la méchanceté et l’abomination
et il ne
les suscite pas chez ceux qui le craignent - 52
14 Dieu
dès le commencement créa l’homme - 53
et le
livra au pouvoir de sa conformation - 54.
15 Si tu
le désires, tu garderas le commandement - 55
et
l’intelligence pour faire sa volonté - 56.
16 Devant
toi ont été placés feu et eau - 57 :
étends ta
main sur ce que tu désires.
17 Devant
l’homme est la vie et la mort - 58,
et ce
qu’il désire lui sera donné.
18
Abondante est la sagesse de YHVH,
il déborde
de puissance et voit tout - 59.
19 Les
yeux de Dieu contemplent ses œuvres
et il
connaît chaque action de l’homme - 60
20 Il n’a
commandé à personne de pécher
et il
n’épargnera pas les hommes de tromperie - 61
Chapitre
13
1 Qui
touche la poix, sa main s’y colle,
ainsi qui
s’associe à l’arrogant apprend sa voie - 62.
2 Pourquoi
porter ce qui es trop lourd pour toi,
et à plus
riche que toi pourquoi t’associer ?
Le pot de
terre s’associe-t-il au chaudron de fer ?
qu’il le
heurte et le voilà brisé - 63 !
3 Le riche
opprime-t-il, c’est lui qui se plaint,
le pauvre
est-il écrasé, c’est lui qui demande pardon.
4 Si tu
lui es utile, il t’exploite,
et si tu
faiblis, il se passe de toi.
5 Si tu
t’enrichis, il te donne de belles paroles,
et il te
ruine sans en avoir scrupule.
6 A-t-il
besoin de toi, il se tourne vers toi,
te sourit
et te fait des promesses.
7 Pendant
qu’il profite de toi, il se moque de toi,
deux fois,
trois fois, il t’intimide.
Puis il te
regarde, passe devant toi,
et hoche
la tête dans ta direction - 64.
8 Prends
donc garde de ne pas être trop audacieux,
et ne
ressemble pas à ceux qui manquent de savoir - 65.
9 Si un
prince s’approche, éloigne-toi - 66,
et il ira
d’autant plus à ta rencontre.
10 Ne te
rapproche pas de peur qu’on ne t’éloigne,
et ne
t’éloigne pas de peur d’être détesté - 67.
11 Ne
croie pas que tu peux être libre avec lui - 68,
et ne te
fie pas à l’abondance de ses propos.
Car cette
abondance de paroles n’est qu’une épreuve - 69:
en te
souriant, il te sonde - 70.
12 Le cruel
s’impose comme gouverneur et il est sans pitié - 71,
contre la
personne de beaucoup il conspire - 72.
13 Fais
attention et sois sur tes gardes
et ne
marche pas avec les hommes violents.
15 Toute
chair aime sa propre espèce
et tout
homme ce qui lui ressemble - 73.
16 Toute
chair est proche de sa propre espèce
et à sa
propre espèce l’homme s’associe.
17 Est-ce
que le loup s’associe avec l’agneau - 74 ?
ainsi du
riche avec le démuni - 75.
18 L’hyène
vit-elle en paix avec le chien - 76 ?
3 - Pour l’expression voir Isaïe 13:10. Dans
l’astronomie antique, le soleil, chaque matin, sort de son « écrin »
comme un glaive de son fourreau et répand sa chaleur brûlante. Voir Talmud de
Babylone, Nédarim 8b, Gittin 76b, passim.
Les Juifs de l’Antiquité suivaient un calendrier
lunaire, d’où l’importance particulière que Ben Sira accorde à cet astre. Voir
Genèse 1:14, Psaumes 104:19. Comparez avec Hymnes homériques, 32 :
« C’est d’elle [la lune] que vient la lumière, signe du ciel, qui s’épand
[…]. Signe et gage pour les hommes » (Hésiode, trad. Backès, p. 336-337).
בדבר אדני
יעמד חק (= M). La lune conserve la même
trajectoire, fixée par Dieu dès l’origine. On peut traduire aussi :
« … elle perpétue la loi ».
L’identification de la gloire divine et de
l’arc-en-ciel vient d’Ezéchiel 1:28 : « C’était comme l’aspect de
l’arc qui est dans la nuée un jour de pluie, tel était l’aspect de la clarté
environnante. C’était l’aspect, la ressemblance de la Gloire du
Seigneur. »
Voir Psaumes 18:16, 104:7, II Samuel 22:16.
Voir Psaumes 18:8-20, Isaïe 29:6. L’ensemble des
phénomènes célestes violents sont perçus comme des manifestations du jugement
ou de la colère divine. Voir Psaumes 29:8.
Phraséologie tirée d’Isaïe 42:10 et de Paumes
107:23-24 : « Descendus en mer sur des vaisseaux, pour faire du
négoce sur les grandes eaux, ceux-là ont vu les œuvres de YHVH, et ses
merveilles dans le gouffre ». « Descendre à la mer » signifie
« entreprendre un voyage en mer ». Il s’agit des navigateurs, des
marins. Ce type d’expression a été utilisée dans la littérature des Palais pour
désigner ceux qui entreprennent un voyage céleste, les yordey merkabah,
« ceux qui descendent à la merkavah », voyagent vers le char
divin. Selon Lévi, cette expression pourrait signifier ici « les
plongeurs », qui « racontent les choses terrifiantes qui sont au fond
de la mer, dans les réservoir de l’abîme ». Nous traduisons קצהו par « ses confins », alors que selon Lévi (qui
traduit « des détails ») et Segal, ce mot a ici le sens de « une
petite partie », à savoir : les marins ne racontent qu’une petite partie
de l’océan. Selon que l’on considère ceux qui « descendent à la mer »
comme des navigateurs ou des plongeurs, le mot traduit ici par
« confins », se réfère soit à l’immensité inouïe de l’océan, soit à
la profondeur insondable de la mer. Il
se pourrait, au reste, que Josué ben Sira avait en vue les deux motifs
simultanément quand il a choisi son vocabulaire.
Comparez avec l’expression française : ne
pas en croire ses oreilles.
C’est l’hébreu maleakh qui est utilisé
ici ; ce mot se traduit aussi par « ange ». Toute créature est
considérée comme un « messager » de
Dieu qui remplit une fonction définit par la volonté divine.
TAB traduit : « et à son commandement
il accomplit sa volonté ». Mais « volonté » est sans suffixe
pronominal en hébreu et nécessite une lecture différente.
נגלה עוד כי
לא נחקור והוא גדול מכל מעשיו (= B et corr. marge). Ben Sira
invite ses lecteurs à se réjouir, au lieu de s’attrister, de ce que Dieu, étant
tout, « nous n’en viendrons pas à bout », nous n’atteindrons aucune
limite, aucun fond (חקר), quand on le cherche (נחקור) ; cette quête étant sans limite,
elle continue toujours, d’où la jubilation permanente devant les prodiges qui
s’offrent à nous. En résumé, « Dieu est tout et plus grand que
tout », il remplit et déborde tout, mais si l’on peut percevoir partout sa
présence, son « débordement » est insondable et indicible. Et, pour
Ben Sira, ce n’est pas l’austère recueillement qui doit en être la conséquence
sur le plan humain, mais la jubilation et le chant de glorification, voire le
cri de joie. Voir Psaumes 145:3. Dans la littérature hébraïque médiévale, on
rencontre plusieurs des présentes formulations de Ben Sira. Un poète et un
philosophe judéo-espagnol comme Salomon ibn Gabirol (1020-1057), utilise le mot
« tout » dans ses poèmes en lui conférant deux sens : d’une part
« Tout » est une épithète qui désigne Dieu, et d’autre part il se
réfère à l’univers ou au tout de la création ; voir Y. Liebes, « R.
Solomon ibn Gabirol’s Use of of the Sefer Yesira and a Commentary on the Poem
‘I love thee’ », Jerusalem Studies in Jewish Thought, 6,
1987, p. 108-109 (en hébreu) ; J. Schlanger, « Sur le rôle du ‘Tout’
dans la Création selon ibn Gabirol », Revue des Etudes Juives, 124,
1965, p. 125-135. C’est le cas aussi d’autres poètes philosophes, comme Abraham
ibn Ezra (1092-1167), cf. par ex. son commentaire sur Genèse 1:26 :
« Dieu est l’Un, et il est le Créateur de Tout et il est le Tout, bien que
je ne puisse pas l’expliquer » (והשם הוא האחד והוא
יוצר הכל והוא הכל). E. Wolfson
estime que l’usage de cette terminologie reflète l’influence de la philosophie
platonicienne et néoplatonicienne (Proclus), pourtant elle est parfaitement
conforme aux sources hébraïques de l’Antiquité et pourrait avoir été
entremêlées avec ces dernières, voir « God, the Demiurge and the Intellect:
on the Usage of the Word Kol in Abraham ibn Ezra », Revue des Etudes
Juives, 149, 1-3, 1990, p. 77-111 ; Y. Liebes, dans son article
précité, invoquait pour sa part, et croyons-nous inutilement, des sources
gnostiques comme l’Evangile de Vérité (p. 120-121). Il semble
plus probable qu’au moins des extraits du Siracide étaient encore connus des
poètes et philosophes juifs des Xe et XIe siècles et qu’ils ont pu les associer
dans leurs écrits à des concepts néoplatoniciens.
Nous restaurons le début du passage dont deux ou
trois mots sont tronqués. Le fin du stique est un emprunt à Isaïe 13:2.
Le verset 31 manque en hébreu.
Leçon de G : « Qui l’a vu pour le décrire et qui le louera comme il
est ? » Cf. plus haut, 42:17ab et Psaumes 106:2. Mais il se pourrait
qu’il s’agisse d’une interpolation de G, qui tente d’atténuer le caractère
apparemment audacieux de plusieurs affirmations de Ben Sira.
מעט ראיתי
ממעשיו. L’ordre
des mots dans la traduction ne restitue pas le parallélisme d’opposition entre
les mots rov (beaucoup, abondent), et me’at (peu), situés chacun
au début de chaque stique : abondent les merveilles… peu j’en ai vues. Il
y a un contraste flagrant, un fossé qui ne peut être comblé entre la
surabondance des merveilles de la création et le nombre infime que Ben Sira dit
en avoir vu. Qu’elles soient invisibles ou trop nombreuses pour être aperçues,
le verset répète encore l’idée dominante du passage : l’homme face à la
création est confronté à l’illimité, ce qui lui permet de rencontrer son
Créateur, à la fois comme totalité et infini, remplissant et transcendant sa
création.
Comparez avec Proverbes 9:5 : « A qui
est dénué de sens, elle [la sagesse] dit : Allez, mangez de mon pain,
buvez du vin que j’ai mêlé. » Plus tard, la Torah sera souvent comparée au
pain et à l’eau dans la littérature rabbinique. Voir Talmud, Chabbat 120a, Genèse
Rabba 70, Cantiques Rabba 1:4.
L’expression « gens vains » (metey
chav) figure aussi dans Job 11:11 et Psaumes 26:4.
Voir Proverbes 14:6, pour l’idée. La figure de
l’homme de mensonge » (ou de « tromperie ») représentera
l’adversaire par excellence du « maître de justice » dans plusieurs
des textes retrouvés à Qumrân. Le verset de Proverbes 19:22 semble être la
source principale de cette expression. Il se peut que les versets de Ben Sira
qui utilisent aussi cette expression aient joué un rôle dans sa
cristallisation, voir aussi plus bas, vers. 20.
Allusion possible aux hymnes de louanges (aux
psaumes), que les sages savent comment composer et enseigner aux autres
Mais Dieu n’a pas besoin de faire des hommes
violents les instruments de sa volonté, sa providence se passe de leur
« concours » involontaire. Ben Sira s’élève contre une idée répandue
dans le monde hellénistique ; voir par ex. Eschyle, Fragment
160 : « « Dieu chez les mortels fait naître le crime, quand il veut
ruiner entièrement une maison. »
אלהים מבראשית
ברא אדם. Au lieu de « l’homme »,
on lire aussi un nom propre :
« Adam ». Emprunt à Genèse 1:1. TAB considère ce verset comme crucial
pour comprendre la doctrine de Ben Sira sur le libre arbitre.
TAB traduit « hefets »
par « choisir », au lieu de « désirer », ce qui est
conforme à son option théologique, mais qui oblitère la portée affective ou
passionnelle de ce verbe, qui est mieux rendu par « désirer » dans un
texte où « conformation » est vu comme un synonyme de
« penchant, inclinaison », et non de « libre choix ». En
outre, la notion de « libre choix » implique une clarté totale
concernant les options possibles, alors que la notion de « désir » ou
« d’inclination » introduit des dimensions supplémentaires, qui
peuvent être plus ou moins obscures, dans ce qui détermine les actes. Il
importe de ne pas laisser sombrer la pensée de Ben Sira dans un simplisme
théologique stérile, ce qui a été largement le fait des divers traducteurs
jusqu’à présent. Ainsi, li dépend de l’homme de maîtriser sa
« conformation », donc ses envies, pour garder « le
commandement ». Comparez avec la Michnah, Avot, 4 :1 :
« Ben Zoma dit : […] Qui est un héros ? Celui qui soumet son
penchant (yitsro), comme il est dit : ‘Qui est lent à la colère
vaut mieux qu’un héros, qui est maître de son esprit vaut mieux qu’un preneur
de ville’ » ; cette maxime est à comparer avec Démocrite, §
214 : « Le courageux n’est pas celui-là seulement qui triomphe de ses
ennemis, mais celui qui triomphe de ses désirs. Quelques-uns se rendent maîtres
des villes, mais se rendent esclaves des femmes » (Les penseurs grecs
avant Socrate, p. 182).
Pour la vision de Dieu à laquelle rien n’échappe,
comparez avec Proverbes 15:3, Job 34:21-22, Psaumes 33:13-15, 90:8, 139:1-4.
Pour sa puissance formidable, voir Psaumes 46:2-10, 66:3-7, passim.
L’ensemble de cette strophe a été résumée en une
formule lapidaire par rabbi Akiba dans la Michnah, Avot, 3:15 :
« Tout est scruté (ou tout est prévu), mais la liberté a été
donnée. » Comparez avec Théognis 375 : « Tu [Zeus] connais
l’esprit et les sentiments de chaque homme, ton empire domine toutes choses, ô
roi… » (Poèmes élégiaques, p. 79). Comparez ce verset avec Avot
2:1 : « Sache ce qui est au-dessus de toi : un œil voit, une
oreille entend et toutes tes actions sont inscrites dans un livre. »
Voir Théognis 35-36 : « Car c’est des
gens vertueux que tu apprendras la vertu ; mais si tu te mêles aux
méchants, tu perdras même l’esprit qui est en toi » (Poèmes élégiaques,
p. 60). Cf. aussi Athénée XV, 695c. Notez que ce verset est devenu un proverbe
populaire et a été cité deux fois par Shakespeare : Beaucoup de bruit
pour rien (III, iii, 61) et Le roi Henri IV, partie I, II, iv, 460).
Une glose s’est introduite à cet endroit :
« Ou le riche s’associe-t-il au pauvre ? ». Ben Sira semble
faire allusion à une célèbre fable attribuée à Esope et rapportée entre autres
par Faërne (fable 1) : « Un fleuve charriait un pot de terre et un
d'airain. Le pot de terre disait à l'autre : Flotte à l’écart, ne
m’approche pas, car si tu me touches, je me brise, même si sans le vouloir
j'approche de toi. La vie est pleine de dangers pour le pauvre quand un maître
puissant habite près de lui. » Maxime reprise par Jean de La Fontaine, Fables
V, 2, qui conclut : « L'un contre l'autre jetés au moindre hoquet qu'ils trouvent. Le
pot de terre en souffre ; il n'eut pas fait cent pas que par son compagnon
il fut mis en éclats, sans qu'il eût lieu de se plaindre. Ne nous associons
qu'avec que nos égaux, ou bien il nous faudra craindre le destin d'un de ces
pots. » Dans l’édition critique des Fables de La Fontaine publiée
dans Les grands écrivains de la France, nouvelle édition, t. I, Paris,
Hachette, s.d., publié vers 1880, Henri Régnier renvoie à Esope, fable 290
(Coray, p. 190), et donne de multiples références à d’autres reprises de cette
antique parabole, depuis la littérature indienne et médiévale occidentale,
jusqu’aux écrivains modernes, voir p. 368-369.
TAB, avec une légère correction lit :
« et ne sois pas réduit au silence avec ceux qui manquent de
savoir ». Mais le texte hébreu fait sens sans aucune émendation, la
correction proposée est superflue. Ben Sira conclut la strophe en demandant à
son lecteur de ne pas faire comme s’il n’avait pas été informé par ses conseils
de la conduite des riches et de la méfiance nécessaire dans leur fréquentation.
Comparez avec Eschyle, Les Perses, 887 et
suiv. : « Certes, il était sage, celui qui le premier établit en
maxime et débita en apologue que s’unir à son égal est beaucoup le
meilleur ; qui vit de son labeur ne doit pas ambitionner l’alliance ni du
riche délicat, ni du noble orgueilleux ».
Comparez avec Phibis 10:12-13 : « Ne
t’approche pas – quand il n’en est pas temps – et ton maître n’aura pas de haine contre toi. Ne t’éloigne pas, alors on
ne te chercheras pas et tu ne lui seras pas désagréable. » (Papyrus
Insinger, p. 31).
Le Gaon Sa’adiyah cite cet hémistiche
ainsi : « Car par l’abondance de paroles il t’éprouve. » (Segal, p. 85).
On peut traduire aussi : « Le cruel
donne un [= devient] gouverneur et il est sans pitié. »
Sous-entendu : la cruauté est un moyen efficace d’accéder au pouvoir et de
s’y maintenir.
אכזרי יתן
מושל ולא יחמל על נפש רבים קושר קשר. Sens
jugé difficile. TAB traduit en
s’appuyant sur les versions: « Sans merci il conservera tes paroles comme
une menace contre ta vie, et il n’épargnera pas l’oppression et les
chaînes ». Mais l’hébreu tel qu’il est ne pose guère de difficultés. La
dernière formule pourrait être traduite : « il lie des liens ».
Peut-être s’agit-il d’une référence aux entraves à la liberté culturelle et
religieuse imposée à la communauté juive (désignée par rabim,
« beaucoup »), par les souverains ptolémaïques ou séleucides qui
tenaient la Judée sous leur tutelle. Ben Sira voile sa pensée en jouant sur le
double sens du mot qécher, qui signifie aussi bien « lien »
que « complot », « conspiration » (II Rois 15:30). Dans le
présent contexte, Ben Sira semble dire que le gouverneur cruel cherche à
prendre en défaut les fonctionnaires de l’Etat, en les piégeant au moyen d’une
familiarité feinte. Quelque soit le sens précis de la formulation obscure de
Ben Sira, ce verset et sans doute le suivant constituent une critique du régime
politique en place.
Comparez avec la parabole d’Isaïe 11:6.
Le ms. A porte un stique supplémentaire, qui
n’est pas à sa place ici : « et ainsi du méchant avec le
juste ». Cependant, c’est la leçon retenu par G et S et maintenu par TAB.
Mais le contexte n’évoque que les relations entre riche et pauvre, il convient
donc, comme Segal (p. 85), de retenir cette leçon. Voir Proverbes 29:27. Par ailleurs, dans
l’ensemble du passage, le riche est identifié au méchant, comme dans Isaïe
53:9, et le pauvre au juste, sans doute à cause des conditions économiques de
l’époque, où pour s’enrichir, il fallait flatter l’autorité et dépouiller les
pauvres.
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