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 Lettre à Abraham Pincas - 1993
Site : http://pincas.net/
           
 UN FAISEUR DE MERVEILLES

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Mon cher Abraham,

 En contemplant tes dernières toiles, je n'ai pu m'empêcher de me faire cette réflexion : l'artiste peintre est un penseur de l'impensable, qui emploie le geste et la couleur comme le philosophe ou le mystique se sert de mots. Mais les mots sont toujours limités par leur utilisation sociale et conventionnelle, et à moins de créer une nouvelle langue, ils ne permettent jamais de dire l'infini. Ta peinture, mieux que toute autre, m'aide à comprendre ce que Guy Lardreau, un philosophe contemporain, dit de l'oeuvre d'art : qu'elle est une finalité sans fin. Tes anges sont plus vrais que ceux que les extatiques rencontrent au ciel, tes serpents plus réels que ceux que les charmeurs apprivoisent, parce qu'ils font partie d'un monde que toi, le créateur d'une langue picturale qu'aucun dictionnaire n'enferme, projette sur un support spatial à l'échelle de nos vies et de nos demeures. Tu rends accessible à notre regard une vision de ce monde sans fin, par une lumière qui force les yeux à s'enfoncer au plus profond, par des couleurs d'une beauté surnaturelle et dont les miroitements illimités illuminent avec une étrange exactitude les creux et les noirs de notre conscience. Tu contrôles l'incontrôlable passion de voir ce qui se tient au-delà du Rideau céleste, au coeur du Saint des Saints. Tes peintures provoquent chez ceux qui les scrutent un éblouissement qui laisse d'abord sans mot, mais qui, après ce jeûne de la parole, cette purification salutaire de tous les bavardages, aiguise la pensée et réveille une puissance de dire insoupçonnée, endormie par le fracas et le bourdonnement incessant des images. Tu maîtrises par ta peinture les signes d'un réel qui se dissimule derrière les apparences et les simulacres, tu touches l'invisible avec ton pinceau, et tu aides les hommes à le voir en les faisant jouir d'une harmonie de formes et de couleurs qui ne sont déjà plus tout à fait de ce monde. Ta peinture vient d'ailleurs, elle perce le présent comme une pointe fine et nous emporte dans une traversée de l'océan des illusions pour nous mener sur le rivage d'une vérité au-delà des mots. Tu a su conjuguer le Beau et le Vrai comme nul autre avant toi. Tu es un faiseur de merveilles.


                                   Bien à toi,
                                  Charles Mopsik