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LECTURES ET INTERPRETATIONS DE LA BIBLE PAR LES CABALISTE DU XIIIe SIECLE.
SYMBOLES, ALLEGORIES OU OBJETS CONCRETS ?


 




Par Charles Mopsik, 31 01 2003


Nous aimerions explorer un mode d’interprétation des textes bibliques que les cabalistes ont développé depuis la fin du XIIe siècle dans le Languedoc et qui a connu son âge d’or au XIIIe siècle, dans le nord de l’Espagne. Les chercheurs dans ce domaine ont, depuis au moins Gershom Scholem, dit et répété, de façon parfois argumentée, qu’il s’agit d’une interprétation de type symbolique : à travers le texte biblique, les cabalistes auraient trouvé des symboles qui se réfèrent aux mondes supérieurs ou aux émanations (les sefirot). Un des ouvrages de Scholem porte même comme titre : La Kabbale et sa symbolique. Ainsi, après que la notion d’allégorie a été repoussée comme n’étant par pertinente pour qualifier le type de lecture des cabalistes, c’est celle de symbole et de symbolique qui a prévalu et s’est imposée jusqu’à nos jours. Il nous semble cependant que cette qualification n’est guère plus pertinente que celle d’allégorie. Nous voudrions montré en quoi et pourquoi les vocables spécifiques, les termes techniques, dont font usage les cabalistes de l’école théosophique (celle qui a donné le jour au livre du Zohar en particulier), ne sont pas des symboles. Mais nous tentons de ne pas nous en tenir à une approche critique, et cherchons à déterminer ce qui pourrait être une dénomination plus correcte. Aux yeux des cabalistes en effet, l’ensemble du monde organisé, au sens où il peut faire l’objet d’un classement, d’une hiérarchisation, peut être considéré comme renvoyant à tel ou tel élément du monde de l’émanation. Tout objet matériel, et notamment ceux qui sont désignés dans le texte biblique, grand ou petit, humain, animal ou inanimé, pourvu qu’il fasse partie d’une série liée et connectée, d’une collection structurée de façon statique ou dynamique, où des échanges, des mélanges, des séparations, s’opèrent, renvoie à telle ou tel aspect du monde divin, et par suite du Dieu révélé lui-même. Chaque objet concerné n’est donc pas un simple symbole (au sens linguistique) d’une facette du monde divin, mais est substantiellement un écho, un reflet, une manifestation partielle de cette facette supérieure. Cette façon de percevoir partout dans la lecture du texte biblique, cette présence substantielle, fait de lui globalement la manifestation graphique même de la divinité. D’où l’identification par les cabalistes de Dieu (deus revelatus) et du Livre saint. D’où aussi l’usage de l’écriture hébraïque comme matériel thérapeutique de base dans la confection de remèdes (appelés parfois amulettes). La pratique et les rites religieux, qui effectuent des opérations décrites dans le Livre saint, font partie intégrante du travail d’interprétation et n’en sont pas seulement le produit ou la conséquence, comme passage de la théorie à la pratique. Ils sont un moyen de s’approprier la vie divine qui traverse les lettres du Texte biblique, et de la remettre en marche, de la ranimer, à la fois pour lui redonner sens (sens toujours menacé par la routinisation mortifère des relectures successives), et pour matérialiser le sens, en le trempant dans la substance de la vie concrète. Ce qui en retour provoque un nouvel élan interprétatif. La terminologie dont se servent les cabalistes et qu’ils extraient le plus souvent du texte biblique, loin d’être un réseau de symboles renvoyant à un univers lointain ou tout autre, est une encyclopédie d’objets techniques, qui nomme des réalités visibles ou invisibles, mais toujours considérées comme relevant d’un paysage qui se laisse manipuler, verbalement, graphiquement, ou spéculativement – et aussi « thérapeutiquement », que ce soit pour réparer l’individu ou pour restaurer l’ensemble du cosmos. Une des grandes besognes du commentateur cabaliste est de classer de façon appropriée, cohérente, intelligible, ces objets techniques, formes graphiques et images plastiques, de les expliquer et d’en faire la théorie.



 

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